Chapitre 12
Judy était dans son bain, tout à la jouissance de sa tiédeur de cocon, quand elle entendit le téléphone sonner. Harris décrocha et sa voix étouffée lui parvint par la porte restée entrouverte de la salle de bains. Elle se demanda vaguement qui pouvait appeler. Au bout d’un moment, elle entendit le déclic du récepteur remis en place puis des pas traversant le salon en direction de la salle de bains. Harris entra, un sourire ironique sur le visage.
— C’était Foskins, dit-il en s’asseyant sur le bord de la baignoire.
— Un dimanche matin ? Il ne peut plus se passer toi.
— Tu parles. Il me flanque à la porte.
— Quoi ? Pourquoi ?
— Il n’a plus besoin de mes services. Merci de votre aide, mon vieux, elle m’a été extrêmement précieuse, croyez-le bien, mais le creux de la vague est derrière nous. J’estime qu’il serait peu correct d’abuser plus longtemps de votre temps.
— Le vieux salaud !
— Non, pas vraiment, je ne pouvais plus faire grand-chose. A vrai dire, je suis plutôt soulagé je me sentais assez inutile depuis deux semaines.
— D’accord, mais il se débarrasse de toi au moment même où c’est presque fini.
— Bah, sa démonstration est réussie, non ? Il n’a besoin de moi pour représenter le public – il l’a nouveau tout entier. De toute façon, les gosses ne vont pas tarder à rentrer et je reprendrai mes bonnes vieilles habitudes.
— Hmm, peut-être. — Judy s’enfonça encore dans l’eau. — Il n’en reste pas moins un vieux salaud.
Harris rit et lui éclaboussa gentiment le visage.
— Il nous invite à « une petite sauterie » mardi prochain.
— Quoi ? — Judy se redressa. Sans blague ?
— Il sait qu’il est une crapule et il a du mal à s’y habituer. C’est probablement sa faiblesse – ce n’est qu’un demi-salaud. Il me fait une vacherie mais il voudrait bien que je continue de l’aimer.
— Je vois. Et alors, tu continues de l’aimer ?
— Qu’est-ce que ça peut faire ? Il me fait un peu pitié d’une certaine façon. Mais je me moque complètement de notre petit comité – je suis heureux d’en être sorti. Maintenant que le pire est passé, j’ai vraiment mieux à faire.
— Et, tu comptes aller à sa petite sauterie ?
— Pourquoi pas ? Ca fait une soirée...
Foskins les accueillit chaleureusement quand ils arrivèrent chez lui le mardi suivant.
— Salut, mon vieux. Ah mais, vous devez être Judy. Entrez, entrez, je vous en prie.
« A moitié rond déjà », songea Harris échangeant un clin d’œil avec Judy.
— La plupart de mes invités sont arrivés. — Foskins parlait un peu trop fort. — La salle de bains est en haut de l’escalier et à gauche, la chambre à coucher à droite, si vous voulez déposer votre manteau.
Judy se dirigea vers l’escalier, et Harris suivit Foskins dans une pièce pleine de gens qui bavardaient. Il aperçut Howard parmi l’un des groupes, tout à la gloire des événements de la semaine précédente.
— Bonjour Harris ! lança-t-il avec un geste de la main qui lui fit renverser la moitié de son verre sur la jeune femme qui était à ses côtés. — Venez que je vous présente à tout le monde.
Harris se dirigea vers le groupe, Foskins le guidant par le bras et s’emparant d’un scotch sur le plateau d’un garçon au passage. Howard le présenta à son groupe avec un air de camaraderie qu’il ne lui avait jamais remarqué dans leurs relations de travail.
— Oh, c’est vous le professeur qui avez sauvé tous ces petits écoliers, n’est-ce pas ? s’écria la jeune femme qui se trouvait à côté de Howard, pleine d’enthousiasme.
— Avec l’aide de la moitié des flics et des pompiers de Londres, oui, sourit Harris.
— Voyons, mon garçon, ne soyez pas modeste ! dit Foskins en plaçant une main sur l’épaule du professeur et en le secouant comme un prunier.
— Jane adore les héros ! annonça Howard en plaçant un bras possessif autour de la taille de la jeune femme.
— Suivez-moi, suivez-moi il faut que je vous présente à tout le monde.
Foskins l’entraîna par la manche. Judy les rejoignit au milieu de ce tour de piste, et ils échangèrent force sourires, poignées de mains et congratulations avec les autres invités. Après son troisième scotch, Harris se sentit mieux disposé vis-à-vis du sous-secrétaire d’Etat qu’il observait rire et plaisanter parmi ses collègues du gouvernement, admirant la fausse modestie enjouée avec laquelle il savait accepter leurs compliments. Il aperçut Howard de l’autre côté de la pièce, qui, sans prêter la moindre attention aux bavardages de Jane, semblait foudroyer Foskins du regard.
Judy l’interrompit dans ses pensées en lui murmurant à l’oreille :
— Alors, ça te plait, la haute société ?
— Ca pourrait être pire. — Il lui sourit. — En tout cas, l’alcool coule à flots.
— Ce bon vieux Foskins nage dans la gloire.
— Bien sûr. A quoi crois-tu que serve cette réunion ? D’ailleurs, tu ne peux pas lui en vouloir.
— Pour un contestataire, je te trouve plutôt indulgent !
Il rit, lui passa un bras autour de l’épaule et l’attira contre lui.
— D’accord, il s’est trompé une première fois, mais il a su se rattraper rapidement.
— Avec ton aide et celle de tous les autres ! répliqua Judy indignée.
— Elle a raison, Harris ! — Howard avait traversé la pièce pour les rejoindre, Jane sur les talons. — Il s’est débrouillé pour qu’on lui attribue tous les mérites de l’opération, et maintenant il joue les modestes alors que c’était mon idée.
— Parfaitement, approuva Jane, transportée.
— Et, à propos, ajouta le chercheur non sans malice j’ai été désolé de constater que vous ne faisiez plus partie de l’équipe.
Harris sourit, refusant de tomber dans le piège.
— Qu’est-ce que ça peut faire ? C’est fini maintenant, dit-il, cherchant des yeux le garçon et son plateau.
— C’est ça et nous n’avons plus qu’à retrouver nos obscurs petits travaux, tandis que lui...
— Ecoutez, si ça ne vous plaît pas, c’est à lui qu’il faut le dire, pas à moi.
Harris s’empara d’un verre sur le plateau qui passait.
— Vous avez raison ! et c’est ce que je vais faire, pas plus tard que tout de suite !
Et Howard marcha droit sur Foskins.
— Harris, tu es vraiment méchant, reprocha Judy au professeur qui souriait.
— Mon Dieu, il va faire un esclandre, gémit Jane.
A la seconde même où Howard arriva au niveau du jovial Foskins, la sonnerie du téléphone retentit dans l’entrée et, le sous-secrétaire s’étant excusé, le jeune chercheur resta planté là, la bouche ouverte.
Harris se sentit soudain moins joyeux en voyant le chercheur qui avait repris ses esprits partir sur les traces de Foskins.
Deux minutes plus tard, Howard revint dans la pièce, le teint terreux. Il les rejoignit en secouant lentement la tête d’un air incrédule.
— Chéri, que s’est-il passé, qu’y a-t-il ? demanda Jane inquiète.
Il les regarda à tour de rôle sans vraiment les voir.
— Ce coup de téléphone, commença-t-il. C’était notre quartier général.
Ils attendaient en silence, impatients.
— Il y a eu une autre attaque. Un massacre...dans le nord de Londres.